Changement de programme ?

Il n'y avait plus aucun bruit dans les rues de Storybrooke. Peut-être était-ce pour cette raison que la pulpeuse Elisysse s'était aventurée dehors sans prendre garde à ceux ou celles qui pouvaient l'entourer. Depuis la mort de l'un des habitants, apparemment un ami de bon nombre de personnes, la ville était plongée dans le silence. Les temps n'étaient pas réellement à la réjouissance, et pourtant la blonde n'était aucunement affectée. Son travail, elle le réalisait toujours, presque tous les soirs à vrai dire. Il en était ainsi depuis près de 29 longues années. Là, le bruit revenait. Instantanément, avant même d'ouvrir les portes, elle l'entendait, d'abords un doux murmure, puis une mélodie plus distincte, et enfin un son permanent, heurtant son corps tout entier à chaque note.

Oui, ce soir encore, elle aurait quelques heures de travail, et peu importait si le cimetière accueillait un nouvel habitant. Si ce n'était pas l'un de ses nombreux observateurs, les chaises seraient toujours autant occupées durant cette soirée. Pas qu'elle se réjouissait de la mort de quelqu'un - quelqu'un qui s'avérait être un total inconnu, mais elle ne s'accablait pas d'un deuil qui ne lui appartenait pas. Si la ville cessait de tourner, elle sombrerait certainement avec elle. Et c'était là une idée qui la révulsait. Elle préférait mourir plutôt que de penser retrouver cette douce folie qui l'avait imprégnée lorsque ses souvenirs étaient revenus... Le temps la rattrapait, certes, mais elle avait déjà volé bien des années.

Sur le trottoir, elle ne croisa pas un véhicule, pas une personne. Elle était seule, dans une tenue tout à fait quotidienne mais aussi très soignée. Malgré le fait qu'une partie de la population avait peut-être trop souvent posé son regard sur sa peau dénudée, elle avait un goût prononcé pour la mode. Elle ne se cacherait certainement pas derrière de lourds vêtements pour exposer sa honte. Oh non, elle n'avait nullement honte. Elle acceptait et aimait pleinement son emploi. La danse faisait frissonner tout son corps, les regards désireux d'autrui faisaient courir des soupirs sur ses lèvres, parfois même, elle se surprenait à aimer l'un ou l'autre qui osait se lever pour s'approcher plus encore et lui demander ses horaires. Mais elle ne répondait jamais. Elle était danseuse de charme, certes, mais elle n'offrait son corps qu'aux yeux des autres, non à leurs mains avides de chair, à leur langue portant le goût de la solitude, du manque, de la déraison.

Plongée dans ses plus noires pensées, la belle Elisysse ne porta aucun regard autour d'elle en arrivant sur un carrefour. Aucun bruit, seul le vent et sa voix dans sa tête. Evidemment, en temps normal, elle aurait continué son chemin vers le Rabbit Hole, le regard dans le vide, se posant pourtant sur les décors autour d'elle. Mais aujourd'hui, le vide était plus intense, les décors plus invisibles que jamais. Le silence imprégnait son âme, et plus rien n'attirait son attention. Ce fut pour cette unique raison qu'elle se laissa percutée par... une totale étrangère. L'onde de choc ne l'envoya heureusement pas valser avec le béton, mais elle fut assez importante pour l'obliger à s'arrêter. Pas qu'elle en eut envie, non, mais le réflexe de mettre un visage sur la quasi-violence de cet acte lui était nécessaire.

Un bruit métallique heurta les tympans de la jeune femme. Ses yeux furent attirés par l'origine de ce son. Un poignard à la lame sinueuse, des dessins l'ornaient, mais l'inconnue le rattrapa trop vite pour qu'elle puisse prélever d'amples informations. La panique qui accompagnait le mouvement prouvait que cet objet avait beaucoup de valeur pour cette personne. Mais la question qui demeurait en Elisysse était... A quelle fin servirait-il ?

Le visage de cette femme ne lui disait vraiment rien. Non, elle ne l'avait jamais croisée. Pas en 29 ans d'existence dans cette petite ville. Pourtant, elle avait une présence impressionnante, comme si elle pouvait lire en elle avec aisance. Son regard ainsi posé sur elle ne l'impressionnait guère, mais attisait sa curiosité, malgré elle. Oui, elle sentait que cette personne n'était pas une innocente, elle possédait tous ses moyens. Rien ne l'arrêterait. Elisysse avait le don de voir le pouvoir dans chaque être vivant. Cette inconnue avait le pouvoir. Mais lequel ? Et pour quel prix l'avait-elle obtenu ? En faisait-elle le bien ? Le mal ? L'inconnu réservait toujours des multitudes de questions. Des questions silencieuses, posées malgré la raison, malgré l'inconscient.

« Faites attention... Vous ne savez pas où vous mettez les pieds ! »

Sa voix la percuta, un ton cassant, mais rien ne pouvait la briser. Elle ne se laisserait décemment pas réduire à l'état de victime par une parfaite inconnue. Elle la fixa en arquant un sourcil, l'air totalement sceptique.

« Il me semble, Madame, que vous ne regardiez pas non plus devant vous. Sinon il me paraît évident que vous m'auriez aisément évitée. »

Une rencontre incongrue, une inconnue sur la défensive. Tout cela ne présageait rien de bon, mais tout ce qu'Elisysse aimait...

Changement de programme ?

L'inconnue qui se trouvait face à elle sembla se dérider face à sa répartie. A croire que, peut-être, elle aimait d'hors et déjà son caractère. Elisysse Hearn était une femme de caractère et purement égoïste. Elle ne l'ignorait pas, elle l'arborait souvent d'ailleurs. Pourquoi cacher sa véritable identité sous un masque ? Après tout, elle n'avait plus rien à perdre. Alors que tout aurait du la conduire à continuer son chemin, sans même prendre le temps d'écouter cette femme, elle resta plantée là. Pour quelle raison ? Elle l'ignorait. Mais cette personne avait quelque chose d'intéressant, d'attractif, dont la blonde ignorait tout. Elle sentait que quelque chose grouillait autour d'elles et les enfermaient de ce dialogue fort inutile mais pourtant présent.

« Admettons. » Une absence totale d'excuse. Mais Elisysse s'y attendait et, de toute évidence, aurait eu la même attitude. « Aurais-je l'honneur de savoir à qui je m'adresse ? »

Oh mais oui. Tous ignoraient qui elle était, mis à part les habitués du Rabbit Hole. Tous, mais bientôt une de moins... Elisysse ne craignait pas que l'on sache qui elle était. Elle était qui elle était. Elle ne se déguiserait nullement en quelqu'un d'autre et ne porterait nul autre nom. Alors que la belle - belle ? - inconnue rangeait son arme avec une certaine élégance, la blonde se positionna face à elle. Le regard qu'elles échangèrent devint moins violent, tout à coup, pour une raison qu'elles devaient toutes deux ignorer. Mais Elisysse était plus coriace, elle se dévoilait peut-être moins facilement. Ceci était lié à sa solitude constante depuis... Depuis une éternité.

« Je m'appelle Elisysse. Elisysse Hearn. »

Tout habitant ordinaire aurait tendu la main afin d'offrir un premier contact physique. Un geste de paix, peut-être, mais Elisysse resta simplement là, droite dans son manteau beige et ses talons hauts. De quelle paix parlait-on exactement ? Cette inconnue aurait-elle uniquement l'idée de partager quelque chose avec elle ? Oh non elle en doutait. Toute sa vie, elle n'avait été qu'utilisée, pour passer le temps, troubler la solitude, effacer l'ennui. Elle-même avait fini par utiliser les autres, et en particulier Raiponce, cette fillette qui s'était envolée avec ses rêves acquis. Que lui restait-il, à présent ? Des espoirs de retrouver une vie quelconque, comme un simple habitant lambda ? Elle avait tant repoussé le temps que celui-ci ne semblait plus avoir aucune importance. La mort, elle la pensait si loin que l'instant présent n'était plus qu'une pâle illusion.

Alors pourquoi s'acoquinerait-elle d'un lien tout à fait inconnu, d'une faiblesse, d'un moyen de lui faire perdre plus de temps encore ? Oh, toutes ces questions traînaient dans sa tête, mais sa raison refusait d'écouter. Elle entendait les échos dans son crâne mais jamais n'y prêtait attention.

« Et il me semble également ne pas vous connaître. »

L'invitation à dévoiler un nom. Un nom qui ornerait un visage, un visage qui ornerait une personne, une personne qui, certainement, ornerait sa mémoire. Elle aimait certes les situations les plus complexes, mais elle haïssait par dessus tout lorsqu'elle n'en retirait que de la lassitude et une pointe d'ennui, pire encore lorsqu'elle héritait de colère ou de déception. Alors, cette femme finirait-elle par faire comme tous les autres ? Il était trop tôt pour savoir si, déjà, elle lui laisserait la chance de faire ses preuves et d'arpenter quelques instants de sa brève vie.

Changement de programme ?

« En effet... Vous pouvez m'appeler Zelena, Zelena Mill... er. »

Zelena. Un nom poétique, Elisysse ne pouvait le nier. Elle le retiendrait, elle en était sûre. Et comment oublier un tel visage ? De toute évidence, la blonde n'oubliait rien, et surtout pas celles et ceux auxquels elle confiait son propre nom. Elle esquissa un léger adoucissement. Mais pas un sourire ne se dessina sur son visage. Elle fixa les yeux de la jeune femme qui se tenait face à elle. Que dire de plus ? Elisysse n'avait jamais été très expérimentée quant aux conversations, aux présentations, et à tout ce qui en suivait. Elle ne se souvenait même pas avoir de réel ami, un jour. Non, aucun n'avait marqué son esprit.

« Eh bien, Miss Miller, j'aurais souhaité vous rencontrer dans d'autres circonstances. »

Le visage de l'inconnue sembla s'assombrir, comme si cette phrase avait une quelconque répercussion sur elle. Mais Elisysse ne s'attarda pas sur ce détail. Elle savait que chacun possédait de lourds secrets, elle en était la preuve vivante.

« Car malheureusement, je dois me rendre sur mon lieu de travail. Et j'imagine que mes... clients seront très mécontents de constater mon retard. »

Elle ne savait réellement comment appeler ses habitués. Elle ne les pensait guère clients, elle les pensait spectateurs. Evidemment, ils faisaient en sorte que ses danses prennent du sens et, chaque soir où elle se produisait, tous semblaient enclin à une soif nouvelle, ils commandaient donc boisson sur boisson. La chaleur qu'elle engendrait payait donc ses heures de travail. Et ce soir, encore, elle devrait se produire sur la scène du Rabbit Hole.

Son nouveau silence semblait attendre une réponse. Elle aurait pu simplement dire qu'elle partait, et quitter Zelena sans plus de discours inutiles, mais son désir inconscient se voulait présent ici, en ce moment même. Elle aurait souhaité parler encore, peut-être même, emmener Zelena avec elle, devant la scène, pour qu'elle voit se dont elle était capable. Mais elle savait que toutes ces propositions paraitraient fort inconvenantes. Et puis... Que lui prenait-elle ? Pourquoi avait-elle une soudaine envie de se dévoiler à une totale inconnue ? Elle sentit en elle un sentiment d'incompréhension, puis une envie de fuir cet étrange envie.

« Je me dois donc de vous quitter. »

Que dire de plus ? Elisysse l'ignorait totalement. Elle aurait préféré avoir toute l'expérience nécessaire, mais elle ressemblait bien plus à une jeune fille perdue et maladroite. Et elle détestait ça.

Changement de programme ?

« Très bien... Passez donc une... bonne journée au travail. »

Une bonne journée, oui, peut-être. La seule chose qu'Elisysse appréciait, c'était la danse en elle-même. Lorsqu'elle dansait, elle oubliait le temps. Elle ne ressentait que les notes, que l'adrénaline. Une armée de sentiments étranges et intenses. Une intensité nouvelle dans son corps usé par le temps. Mais le reste n'avait nulle importance pour elle. Alors pouvait-on dire que cela resterait une bonne journée ? Elle en doutait.

Alors Zelena lui adressa un signe de tête, auquel elle ne répondit pas, peut-être peu habituée à la chose, elle l'ignorait. Elle la frôla pour la dépasser, comportement qu'Elisysse n'ignora pas, cette fois, et elle sentit une étrange émotion en elle, qu'elle ne sut comprendre. Elle chassa donc cette sensation, et resta immobile avant d'entendre la voix de cette inconnue de nouveau.

« Faites-tout de même attention à qui vous pourriez croiser à la sortie du... Rabbit Hole. »

Elle se retourna légèrement à l'entente de cela, fixant son interlocutrice terminer sa phrase par cette... information. Son sourire satisfait, presque triomphant, dévoilait un atout de taille : elle savait qui elle était. Ou du moins, elle savait où elle travaillait, peut-être donc l'avait-elle déjà vue, parmi les habitués du Rabbit Hole ? Elle n'en avait pas souvenir... Et pourtant, elle se souviendrait d'une femme... comme elle, disons. Alors, comment pouvait-elle savoir ? Avait-elle comploté ? Avait-elle un certain intérêt pour sa personne au point d'enquêter ? Ou connaissait-elle chaque habitant de cette ville ? Non, elle lui avait demandé son nom... Mais peut-être n'était-ce là qu'une ruse... Une ruse bien menée...

Mais malgré cette multitude de questions, seul le sourire de Zelena semblait véritablement la heurter. Sans même attendre une quelconque réponse, il disparut à ses yeux, et la silhouette de l'inconnue s'éloigna doucement, d'une démarche féminine et parfaitement contrôlée. Elisysse resta là, à la regarder partir, la tête pleine de questions. Elle aurait souhaité, peut-être, en savoir plus. Et sa curiosité était de ce fait plus grande encore. Si Zelena souhaitait s'approcher d'elle, elle usait de la bonne stratégie. La blonde n'avait qu'une seule envie, satisfaire son désir, et c'était ce qu'elle ferait.

Devait-elle prendre la dernière phrase de Zelena pour une invitation ? Elle l'ignorait totalement. Mais elle sentait que ce soir-là, elle serait plus attentive encore quant aux visages des clients. Plus encore lorsqu'elle passerait les portes, à la nuit tombée, pour quitter son lieu de travail...