Les boucles dorées attirèrent son œil en premier. Elles retombaient sur des épaules fines et blanches, dévoilées par un haut rouge qui les laissait volontiers dénudées. Son regard accroché par ce détail, il ne pu empêcher un œil avide de remonter le long d'un cou gracile tendu par la soif qu'elle assouvissait, se raccrochant à un visage aux traits dont la délicatesse tranchaient avec les lieux. Elle portait l'innocence sur son visage, mais tout criait en elle une nature sauvage.
Une sueur froide remonta le long de son dos sans qu'il en comprenne la raison.
Il ne put se concentrer plus longtemps, l'alcool qui avait remplacé depuis longtemps son sang dans ses veines l'en empêchait, et ses instinct primitifs reprenaient le dessus, lorsqu'il comprit que le court moment durant lequel le rideau vers les salles destinées aux habitués s'était soulevé allait prendre fin. Il eut tout juste le temps de laisser son regard descendre le long d'une chute de reins qui venait de prendre place aux côtés de la première blonde. Sans doute la raison de sa présence ici. Ca et l'alcool.

Ces êtres communs étaient si simples d'esprit.

Ils n'étaient pas des contes, non. Les contes étaient encore plus simples à cerner.
Enfin...
Sinéad pouvait parler. Contrairement à la plupart des ivrognes présent, elle avait ses entrées, et elle n'avait eu aucun mal à se glisser, plus tôt, vers les salles où se déroulaient les prestations, bien qu'elle s'était faite discrète en restant au comptoir à ce moment là, assise sur un haut tabouret à attendre une information qui lui avait été glissée avec le sous-verre. Elle n'avait pourtant pas manqué un seul instant du spectacle qu'avait présenté l'autre blonde à ses côtés. Celle-ci l'avait-elle remarqué, regardant à travers le miroir au dessus du bar, discrètement, une prestation que Boucle d'Or avait trouvé des plus... captivantes. Mais elle n'avait pu s'empêcher dans un même temps de voir les imperfections, les imprécisions qui venaient entacher tant de talent. On aurait pu penser que pour une professeur de danse, ce genre de pratique impies ne lui laisserait qu'une impression fugace de dégoût, mais c'était elle ne voyait là qu'un gâchis des plus tristes.

C'est ainsi que, sans se tourner vers sa voisine, sans lui porter un regard car elle avait déjà pu l'observer tout son saoul, elle prit la parole.

« Voyez, on peut déterminer à la façon de danser d'une personne ce qu'elle va commander à boire, cher Siegfried. » Le barman fit un sourire, et finalement, Sinéad se décida à se tourner vers l'autre blonde. « Aussi, je suis presque certaine que cette charmante demoiselle va prendre... » Petit moment d'hésitation, sourire en coin mutin qui se dessine, et le verdict tombe alors. « La même chose que d'habitude. Et des cours de danse avec moi, pour parfaire cette technique qui laisse quelque peu à désirer. »
Son sourire s'agrandit encore, l'arrogance rehaussant les traits de la femme d'un éclat contrastant avec la prétendue innocence de sa neutralité précédente.

Tout était une question d'orgueil. Sinéad l'avait vite remarqué à travers le temps passé dans les rues ou en compagnie de feu son maître. Les gens étaient souvent trop fiers, trop arrogants, trop orgueilleux, et c'était ce qui les menait à leur perte. Ils devenaient si simple à piéger... Evidemment, elle-même devait faire attention à ne pas faire preuve de se pêcher de façon trop excessive, même si cela pouvait parfois s'avérer compliqué quand elle voyait ceux qu'elle avait en face d'elle. Les puissants étaient évidemment les premiers visés. Ils se croyaient au dessus de tout et sous-estimaient bien facilement leurs semblables, surtout ceux exerçant des métiers de basse condition, et pire encore. La seule orgueil dont celui qui lui avait tout appris avait fait preuve était sa propre appellation. Le Maître Voleur. Un nom volontiers repris par son élève qui faisait tout pour ne pas avoir à endosser officiellement cette identité, délégant ce nom à un autre pour se protéger de cet orgueil qui pouvait faire chuter des empires.

Ceci dit, l'arrogance dont fit preuve la danseuse ne provoqua chez Boucle d'Or qu'un fin sourire amusé. Oh, il n'était pas utile de monter ainsi sur ses grands chevaux, elle ne faisait que soulever une imperfection après tout, et qu'est-ce qui rendait l'être humain si attrayant si ce n'était pas ça ? Car ainsi, il pouvait toujours se perfectionner, aller plus loin, plus haut... C'est ce qui faisait son charme après tout.
Mais pas pour la femme apparemment.
Les hommes pour qui elle dansait étaient ravis ? Allons donc. Ils auraient été ravis avec un porcelet un peu maquillé pour la plupart. Le ravissement n'aurait certes pas été le même, mais il ne fallait pas se voiler la face. Et cette femme valait bien mieux, notre chère voleuse n'en doutait pas un seul instant... Restait à espérer qu'elle ne se trompe pas.

« Je ne doute bien sûr pas de l'intérêt que peuvent vous porter ces hommes, toutefois... » Petite pause pour faire son petit effet. Rien qui ne permette réellement de l'interrompre, car il était évident qu'elle n'avait pas fini de parler, après tout. « Est-ce réellement là votre objectif ? Plaire à des hommes qui ne savent vous apprécier à votre juste valeur ? Les bas-fonds ont leurs attraits, je le conçois, mais il y a une limite au pitoyable. »

Sinéad ne voyait pas l'intérêt de mâcher ses mots, puisque la femme ne semblait pas vraiment vouloir coopérer. Et étrangement, elle doutait que faire preuve d'hypocrisie marche nécessairement mieux. Et puis... Elle pouvait bien s'amuser un peu. Les joutes verbales étaient un passe temps comme un autre.
Elle porta ainsi son propre verre à ses lèvres sans plus de cérémonie, dans un geste leste et malgré tout élégant, sourire toujours aux lèvres. Elle pariait déjà sur la réaction de la danseuse, s'amusait par avance des paroles qui seraient échangées. Elle pouvait s'engouffrer dans le duel si elle le désirait, Sinéad en serait des plus amusées, et sinon...

Parler de portes ouvertes et donc, indirectement, de portes fermées à une voleuse avait de quoi faire sourire. Et ce fut le cas de Sinéad qui s'amusait bien de ce choix de mot. In a world full of locked doors, the man with the key is king. Et aucune porte ou presque ne lui était fermée. Et ça, c'était un avantage incontestable pour la jeune femme qui se fendit d'un fin sourire. Ceci dit, elle n'était pas là ce soir pour recruter pour son 'petit' réseau. Elle écoutait attentivement la femme, buvant tranquillement son petit cocktail, attendant avec patience qu'elle ait fini de se défendre. Ou plutôt comme elle le fit si bien remarquer, de se justifier.

« En effet, vous justifier n'est pas nécessaire, je ne vous fais pas un procès. Je fais juste remarquer qu'une telle perte de talent est un gâchis incommensurable. Et puis... » Non, elle n'avait pas fini, car autre chose l'avait fait tiquer dans ce qu'elle avait pu dire, outre sa position quelque peu agressive dans sa défense. « Aucune vie n'est petite. » Une philosophie que Sinéad avait volontiers embrassée lorsqu'elle avait rencontré le Maître Voleur. Il faut dire, elle n'y avait jamais vraiment réfléchit avant ça, survivant plus qu'elle ne vivait alors. Ca ne l'empêchait pas à l'époque de profiter des petites choses de la vie, mais elle ne s'était jamais vu comme quelqu'un de potentiellement important. C'était un point qui n'avait pas nécessairement changé depuis, elle se savait remplaçable, pourtant elle était là quand même. Parce qu'elle était elle. Et aussi petite était-elle aux yeux de l'univers, elle était, à l'échelle de l'humanité, plus importante que ce qu'on voulait lui faire croire. Et chaque personne l'était à sa propre façon.
Enfin, elle n'allait pas forcer sa façon de penser au fond de la gorge de la danseuse de charme à ses côtés. Elle termina son verre rapidement, puis sortit de son sac une carte en papier glacé qu'elle posa sur le comptoir entre elles. « Ceci dit, je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Si jamais vous changez d'avis, n'hésitez pas à me contacter, pour ça ou d'autres choses. » Elle se pencha vers elle et posa ses lèvres au coin des siennes.
« Ca sera gratuit pour vous. » Le murmure des mots s'évanouissant, elle se redressa, sourire malicieux barrant son visage alors qu'elle posait deux billets verts de cent dollars sur le comptoir. Pour le service rendu et pour les boissons, celles consommées et à venir de la demoiselle qu'elle tentait d'attirer à elle. Il était toujours bon d'avoir des alliés, même les plus improbables. Et étrangement, avoir Elissyse à ses côtés lui semblait être une bonne idée. Après tout, elle pourrait tout à fait tirer profit de ses charmes pour obtenir quelques informations, qui sait...

Enfin, elle n'y était pas encore, et Sinéad devait rentrer. Avec le papier que lui avait glissé Siegfried, elle avait de quoi travailler ce soir. Elle prit le chemin de la sortie.